Le flogger (mon préféré)

Sa mise en action fait naître un souffle profond et chaud, un peu lourd, qui atteint le corps avant les lanières. Puis leurs extrémités viennent frapper la peau, produisant une sensation de picotement rapide et léger. Il vous est sûrement arrivé de vous réveiller au milieu de la nuit avec un membre totalement engourdi: pendant quelques minutes vous avez remué vos doigts. Alors la circulation sanguine se rétablissant, vous avez senti un fourmillement atrocement salvateur, libérateur, envahir ce membre. Le picotement dont je vous parle correspond parfaitement à ceci, mais au lieu de durer, se ressent en un dixième de seconde. Car tout de suite le plat des lanières touche la peau à son tour, donnant un effet claquant de suite éteint.

Claquant, certes, mais non point brutal: vous vous êtes déjà donné une claque, pensant alors écraser le moustique en train de vous piquer. Vous vous attendiez à ce geste, en étant à la fois l'exécuteur et le bénéficiaire, et pour cela cette claque fut neutre: ni agressive envers vous-même, ni paralysante de surprise. Ainsi le plat des lanières se pose sur le corps.

Dès que les lanières se sont vues plaquées, aussitôt elles se retirent, soit glissantes: alors l'endroit atteint est doucement mais rapidement caressé par le mouvement de repli, soit vivement écartées: un effet de souffle inverse à celui de l'approche du coup rafraîchit la zone fouettée, qui s'en retrouve comme remise à neuf.

Si le flogger n'était que cela, il ne serait rien encore. Là, vous n'avez le détail que d'un seul coup. Ce qui pour moi fait tout l'intérêt du flogger, c'est que celui qui me l'offre prenne bien garde à atteindre tour à tour mes épaules, mon dos, mes reins, mes cuisses, mon ventre, ma poitrine et mes fesses... et ce, dans des mouvements d'inégales forces et vitesses. Cela me donne alors l'impression d'être entourée d'une multitude de souffles et de "faire peau neuve" par les picotements et caresses qui réveillent chaque centimètre carré de mon corps. Plus tonique qu'un massage classique, plus grisant par l'effet de surprise de la nouvelle zone réveillée.

Au bout d'un certain temps - ne me demandez pas de le quantifier, j'en serai incapable, bien trop occupée à absorber ces sensations - la moindre parcelle de peau est sensible. J'entends là que je la sens exister: j'ai conscience parfaitement de mes limites corporelles, comme si j'étais plongée dans un bain chaud, ou enveloppée de ces linges que l'on vous sert dans les restaurants asiatiques. À ce moment précis je ressens le besoin d'une frappe plus forte pour augmenter le niveau de perception de mon corps. Imaginez que vous achetez de nouvelles chaussures: nouvelle forme, coupe, système de fermeture... Votre pied ne se reconnaît pas dedans. Vous serrez un peu, beaucoup, desserrez... jusqu'à ce que pied et chaussure forment un ensemble de sensations à la fois compatibles avec votre façon de marcher et au confort de votre pied: vous avez adapté un contenant physique à une partie de votre corps, autant que vous avez modifié la conscience que vous avez de cette partie du corps par rapport à un élément extérieur que vous ne pouvez que peu transformer.

Des coups plus forts resserrent la chaussure "flogger": la perception que j'ai de mon corps enveloppé se fait plus intense, plus comprimante; mon corps existe, il est maintenu, entouré plus étroitement. Les fibres de ma peau sont comme choyées par des milliers de doigts invisibles: les lanières du flogger qui se multiplient de leur touche au hasard du désir de mon Maître.

À force de recevoir des coups plus ou moins doux, secs, forts, traînants, claquants, la tête me tourne. Mon corps est cuisant - le fouet n'est pas anodin - et je sens des douleurs exquises. Pour la douleur, je crois que vous ne comprenez que trop bien. Quant au côté exquis... Voilà le fait du masochisme: La douleur, dans notre civilisation, dans not civilisation occidentale, du moins pour ce que j'en sais, est associée au désagréable voire à l'insupportable (douleur d'un membre cassé, douleur de la perte d'un être cher) ainsi qu'à la notion de péché (douleur du Christ qui souffre pour l'humanité, sans oublier l'éternel "il faut souffrir pour être belle" - péché d'orgueil). Mais la douleur est aussi délivrance (pensez aux parturientes) mais la douleur est aussi exquise: lorsqu'elle prend fin. Aussi, lorsque je commence à la ressentir, j'en fais abstraction, je ne m'attache qu'à l'instant où elle s'efface. Chaque coup de fouet n'est plus douleur, mais arrêt de la douleur. Cette gymnastique mentale fait tourner ma tête encore plus vite, comme si j'allais m'évanouir. Autre gymnastique: n'accorder aucune place à l'évanouissement, mais tenter de ressentir uniquement ce sentiment d'abandon léger, de vapeur insouciante (car j'ai confiance en mon Maître qui prend garde à moi). Mes endorphines, stimulées à leur maximum à la fois par les sensations physiques et les impressions mentales, libèrent des doses massives de plaisir: je plane. Telle une droguée, mon corps n'existe plus, mon esprit ne m'obéit plus, il se sert de lui-même pour lui-même, pour que plus d'endorphines libèrent plus de plaisir. Concrètement ? Mes muscles sont totalement détendus, mon tonus musculaire est quasi-nul, je me laisse aller dans les liens qui maintiennent mon corps (les liens sont importants: s'ils n'étaient pas là je m'écroulerais et mon Maître ne pourrait plus m'offrir le fouet) et derrière mes yeux fermés je compte les oiseaux imaginaires... Mais cela est mon délire, et qui sait lequel sera le votre ?

Puis mon Maître me détache, et je m'écroule dans ses bras. Il me faut parfois jusqu'à une demi-heure pour revenir sur terre, réussir à ouvrir les yeux, comprendre que les loopings accompagnés d'oiseaux sont terminés. Alors je remercie mon Maître: mais chut ! Ce moment n'appartient qu'à nous.