Les jeux de cordes

Tu seras vite tenté de glaner quelques bouts de ficelles pour attacher ta soumise ; d’autant que les sites parlants de bdsm regorgent d’images plus ou moins esthétiques de soumises ainsi liées. L’idée n’est pas nouvelle puisque déjà à la fin du dix-neuvième siècle, le photographe français Charles-François Jeandel (1859-1942) attachait ses modèles.

l'ancetre du kinbaku ou shibari

Au Japon les samouraïs avaient développé des techniques sophistiquées pour immobiliser leurs prisonniers, ce n’est qu'au cours du dix-neuvième siècle qu’apparaissent les premières estampes représentant des femmes ainsi liées dans un but érotique et ce n'est qu'au cours du vingtième siècle que cette idée prit réellement forme.

Ne te désespère pas en regardant des images présentant de complexes entrelacs de cordes réalisés par quelque Sensai japonais, les jeux de cordes sont peut-être en bdsm le domaine où l’évolution est la plus progressive et où, dès le début il est possible de se faire plaisir. Si démarrer en singletail nécessite d’investir près de 300 euro dans un fouet décent puis de s’entraîner seul de longues heures avant même de songer à approcher celui-ci du dos de ta partenaire, les jeux de cordes nécessiteront quelques dizaines d’euro d’investissement et dès le début vous pourrez commencer, à deux, à en découvrir les sensations ; sous réserve bien évidemment de faire preuve de bon sens et de modestie.

Un peu de terminologie :

La diffusion sur Internet d’images et de vidéo représentant des jeunes Japonaises savamment liées a mis l’art des cordes tel qu’il est pratiqué au Japon à la mode. Tu croiseras au détour de chats ou lors de soirées quelques fats qui se gargarisent des deux ou trois mots dont ils croient connaître la signification, alors voici quelques définitions non pour te permettre de frimer en soirée mais pour t’éviter de te laisser impressionner par quelque pompeuse baudruche.

Shibari, nawa shibari, hojo-jutsu et kinbaku

Tu verras fleurir tous azimuts les termes shibari et nawa shibari, cela fait chic et impressionne encore faut-il dans ce cas utiliser les termes corrects. Malheureusement pour ceux qui se gargarisent de ces mots sans en connaître le sens « shibari » veut dire attacher avec une connotation d’immobilisation, plus précis « nawa shibari » signifie exactement « attacher avec une corde, pour immobiliser ». Et oui tu avais bien deviné à voir son œil égrillard lorsqu’il bride une volaille, ton boucher est un adepte du nawa shibari. Laisse donc le nawa shibari aux bouchers et à leurs dindes.

L'idée d'attacher les prisonniers avec une corde est vieille comme le monde, les cordes étant apparues bien avant la maîtrise du travail du fer. Si au japon, comme ailleurs, l'utilisation des cordes comme technique d'interrogatoire et de contrainte se perds dans la nuit des temps, c'est à la période Edo qu'elle a connu son apogée et sa sophistication et est devenue une discipline à part entière : le hojo-jutsu. Le shoguna des Tokugawa s'est caractérisé par une codification extrême de tous les actes de la vie courante, allant même jusqu'à codifier les vêtements et leurs couleurs en fonction du statut social. Les tortures furent limitées au fouet (mutchiuchi), à écrasement par des pierres (ishidaki),

semedai

aux flexions avec des cordes (ebizeme) et aux suspensions (tsurizeme), cette progression était graduée du mutchiuchi au tsurizeme jusqu'à ce que le prévenu avoue. Il était cependant autorisé et fréquent de fouetter un prisonnier subissant une torture de rang supérieur.

Les techniques de capture et d'attache des prisonniers obéissaient à 4 principes fondamentaux :

  • Ne pas permettre au prisonnier de se libérer,
  • Ne pas causer de blessure physique ou mentale,
  • Ne pas laisser voir à d’autres ses techniques,
  • Que le résultat soit beau à regarder.

Si chaque clan avait ses propres techniques, elles étaient régies par des règles très précises : un simple prévenu ne devait être attaché avec des noeuds jugés humiliants, un samourai devait pouvoir conserver une attitude digne, dans certains clans la couleur de la corde était fonction de la saison, dans d'autres du statut social ou du crime du prisonnier.

Dans les années 60 Fujita Seiko, qui est considéré comme le dernier ninja, a publié un livre qui regroupe l'ensemble des techniques d'hojo-jutsu telles que pratiquées par les différentes écoles. Ce livre est la référence pour le pratiquant moderne, malheureusement il n'existe qu'en version japonaise et même la réédition est épuisée, il est donc très difficile de se le procurer.

fujita seiko hojojutsu


shibari kinbaku bdsm


On retrouve des gravures érotiques de la période Edo montrant des femmes attachées et d'après certains historiens, vers l'an mille déjà, les femmes étaient attachées lors de fêtes proches de nos bacchanales; mais ce n'est qu'au XXème siècle qu'est né le kinbaku.



C'est le peintre Ito Seiu qui à partir de 1908 s'est intéressé au hojo-jutsu dans un but érotique le transformant en ce qui fut nommé kinbaku (kinbaku et non kimbaku comme on le voit parfois écrit).

ito seiu inventeur du kinbaku shibari

Son premier modèle fut sa femme qu'il peignait dans des situations extrêmes, il continua ensuite en la photographiant.

Comme tu le vois le shibari et le nawa-shibari sont au kinbaku ce que le hara-kiri est au seppuku, rien de plus que des occidentalismes approximatifs et si l'on retrouve le terme shibari sur des sites japonais c'est surtout dans un but commercial à destination des occidentaux.

Si l’adepte du kinbaku n’attache plus des prisonniers mais des jeunes femmes consentantes, il n’en respecte pas moins les principes essentiels. De nos jours, l’ensemble des figures de base est plus restreint, mais ce n’est pas un appauvrissement du hojo-jutsu, au contraire, celles-ci sont le canevas à partir duquel chacun laissera libre cours à son imagination afin de réaliser une création personnelle, évolutive au cours de la séance. Poutre maîtresse de toute construction, chaque figure devra être parfaitement maîtrisée et réalisée, qu’elle vienne à faillir et c’est tout l’édifice qui sera ébranlé pour le plus grand dommage de la soumise. Ne rêve pas, ce n’est pas en regardant même attentivement des photos que tu pourras les apprendre, non seulement tu ne verras pas tout, mais surtout tu ne pourras comprendre le pourquoi de tel ou tel nœud. Et oui le grand Maître que tu te voyais déjà va devoir ranger son ego dans sa poche et devenir l’humble disciple d’un Sensei. Seul celui qui aura accepté d’être ton Sensei pourra te monter les figures en t’expliquant le pourquoi de telle corde, de tel nœud, mais surtout te transmettre l’esprit du kinbaku.

Osada Steve cours de kinbaku shibari au studio six
Cours au studio six sous la direction de Sensei Osada

Bakushi, Nawashi, Sensei

Originellement dans les arts martiaux Japonais il n’y avait que 2 ceintures : la blanche et la noire qui en fonction de la progression de son porteur s’ornait de dan, ce n’est que pour s’adapter a la mentalité occidentale qu’ont été introduites des ceintures intermédiaires, en kinbaku, il n’y a pas de ceinture ni de grade pour désigner les niveaux de compétence, c'est vers les années 50 que sont apparues plusieurs dénominations pour qualifier les pratiquants.

Le Nawashi littéralement maître (shi) en corde (nawa), le mot maître étant à prendre au sens de celui qui maîtrise un art, ce terme désigne donc des pratiquants de très haut niveau sans connotation d'enseignement et qui en général continuent à suivre l'enseignement de leur sensei. Des termes proches étant kinbakushi ou bakushi littéralement maître en kinbaku.

Le Sensei ou maître est celui qui a dépassé le statut de nawashi et a non seulement acquis une maîtrise exceptionnelle de toutes les subtilités du kinbaku, mais est, en plus, apte à les enseigner. On ne devient sensei qu'après avoir suivi l'enseignement de plusieurs maîtres pratiquant des techniques différentes: tsuri ou tsuri-nawa (suspensions), newasa (techniques au sol).

yukimura haruki show newasa
Sensei Yukimura Haruki référence en newasa

En kinbaku, il n’a pas de fédération validant la progression, pas de beau diplôme à accrocher au mur, mais aucun pratiquant sérieux n’aurait l’outrecuidance de se parer d’un titre qu’il ne mérite pas. C’est au Sensei de décider quand son élève a atteint le statut de Nawashi et c’est par cooptation de ses pairs qu’un Nawashi atteint la dignité de Sensei.

Depuis peu, quelques Sensei attribuent à leurs étudiants des niveaux. Ceux-ci n'ont pas une valeur reconnue par les autres écoles mais, ils ont le mérite de permettre à l'étudiant d'évaluer sa progression et de lui fixer des objectifs.

Alors même si les chats regorgent de « Maître Shibari », « Sensei » et autres japonismes mal digérés, ne te laisse pas impressionner par ces pseudos pompeux, ce ne sont que des coqs qui se parent des plumes de paon. On compte moins de vingt Sensei au monde et ils vivent tous au Japon, tu ne les croiseras pas sur les chat francophones. Osada Steve qui est installé au japon depuis 25 ans est le seul occidental à pouvoir prétendre à ce titre, il fut le disciple de Osada Eichi qui a sa mort lui transmit son nom, c’est un des acteurs majeurs de la scène tokyoïte et le seul à pouvoir enseigner en anglais, il est parfois sur des forums de discussion germanophones ou anglophones.

Sensei Osada Sateve kinbakushi disciple d'Osada Eichi
Sensei Osada Steve

Les Français ayant étudié l’art des cordes au Japon ( c’est-à-dire à avoir réellement pris des cours, non s’être contentés d’assister à un show, voire d’avoir loué un studio et un modèle pour réaliser quelques clichés) se comptent sur les doigts d’une seule main ; ils y ont aussi appris la modestie et n’oseraient prétendre au titre de Nawashi et évidemment encore moins à celui de Sensei, ce n'est pas sous ces pseudos que tu les croiseras.

N.B.: Si tu te passionnes pour les termes japonais voici deux sites dont les glossaires me semblent les plus précis :

Le site en français de Dr Phil: http://www.bondage-addiction.net/

Le site américain de Jimmy Tatu: http://ds-arts.com